4. Traitement
AVERTISSEMENT: Les informations fournies dans cet article sont anciennes. Veuillez vous référer de préférence au livret cystinurie.
Traitement Médical de la Cystinurie
Par le Professeur Bertrand Dussol – Hôpital de la Conception, Marseille
L’objectif du traitement est de maintenir les urines sous saturées pour la cystine.
Pour cela il faut :
1°) abaisser la concentration urinaire de cystine par :
- le régime pauvre en méthionine et hyposodé
- la dilution des urines
2°) augmenter la solubilité de la cystine (élever le pH urinaire au dessus de 7,5)
- alcalinisation
3°) transformer la cystine en un composé plus soluble
- radicaux sulhydrés
1. Régime pauvre en méthionine
Un régime pauvre en méthionine, précurseur de la cystéine, abaisse l’excrétion urinaire de cystine. La méthionine est un acide aminé essentiel, sa suppression est donc impossible mais son apport peut être limité à la couverture du besoin physiologique soit 1200 à 1400 mg/j. Pour cela il faut supprimer les aliments très riches en méthionine et limiter à 120/150 grammes par jour la consommation de viandes, poissons, oeufs et fromages. Tel quel ce régime n’est trop contraignant pour être suivi régulièrement. Le régime hypoprotidique est déconseillé chez l'enfant et l'adolescent.
Aliments riches en méthionine
2. Restriction sodée
L’idée qu’un régime hyposodé puisse influencer le débit urinaire de cystine est venu de l’existence d’une réabsorption couplée des acides aminés et du sodium au niveau du tube contourné proximal (cotransporteurs Na+/AA-).
Les études cliniques ont confirmé l’intérêt d’un régime hyposodé pour diminuer le débit urinaire de cystine. Il existe chez les malades cystinuriques une corrélation positive entre la natriurèse et l’excrétion urinaire de cystine. Chez certains patients, elle peut diminuer de 50% en diminuant l'apport sodé alimentaire à 50 mmol/jour. Une réduction de 150 mmol de l'apport en sel entraîne une diminution de l’excrétion urinaire de cystine de 650 µmol/j (160 mg/j). A noter que compte tenu du faible nombre de patients explorés, la relation entre l’excrétion urinaire de cystine et natriurèse doit être confirmée. Par contre aucune relation n'a été retrouvée chez le sujet sain entre cystinurie et natriurie.
De plus le régime hyposodé permet de diminuer l’excrétion urinaire de la cystine couplée aux dérivés sulfhydrés. En effet la mesure de l’excrétion urinaire totale de cystine (cystine libre plus cystéine/radical sulfhydrylé) est aussi influencée par l’apport sodé.
3. Cure de diurèse
La solubilité de la cystine étant de 1000 à 1200 µmol/l (250 à 300 mg/l) pour un pH entre 5 et 7 et le débit de la cystinurie chez les homozygotes étant en moyenne de 3,2±1,2 mmol/j (800 ± 300mg/j), un volume d’urine d'au moins 3 litres par jour est nécessaire pour dissoudre la totalité de la cystine. Le volume doit s'élever à 5 litres lorsque la cystinurie atteint 6000 µmol/j (1,5 g/j). Avec une diurèse permettant de se situer en dessous du seuil de solubilité, l'absence de formation de nouveaux calculs ou la dissolution de calculs préexistants est observé chez une majorité de malades. La surveillance de l'adhésion au traitement peut se faire par la mesure de la densité urinaire.
Ce traitement nécessite une répartition régulière des boissons au cours du nycthémère et en particulier la nuit. En pratique la cure de diurèse est très astreignante, un grand nombre de malades sont incapables de la suivre.
4. Alcalinisation des urines
La solubilité de la cystine augmente rapidement lorsque le pH dépasse 7,6 d’où l’intérêt d’alcaliniser les urines.
On peut alcaliniser avec différentes préparations :
1°) le bicarbonate de sodium à la posologie de 8 à 16 grammes par jour bien répartis sur le nycthémère dans 2 à 3 litres d’eau. Le malade doit faire sa surveillance du pH urinaire par des bandelettes réactives. Les fortes doses (30 à 40 g/j) permettent de maintenir constamment le pH urinaire supérieur à 7,6 mais occasionnent des manifestations d'alcalose métabolique ou des troubles digestifs, principalement une diarrhée.
2°) l'eau de Vichy contient 3,5 g/l de bicarbonate de sodium mais peut exposer à long terme à la fluorose surtout si il existe une insuffisance renale.
La relation entre apport sodé et cystinurie doit faire préférer une alcalinisation avec un sel alcalin ne contenant pas de sodium. En effet l’apport sodé délivré par le NaHCO3 majore le débit urinaire de cystine d’environ 20%.
3°) Le citrate de potassium assure la même alcalinisation que le bicarbonate sans augmenter la natriurèse. Il doit être prescrit à la posologie de 6 à 8 gr/jour dilués dans 1,5 à 2 litres d’eau.
Là encore la tolérance gastrique est médiocre. A noter que le jus de citron (ou d’orange) permet aussi d’augmenter la citraturie. Des préparations de citrate sous formes de tablettes à libération prolongée, bien tolérées sur le plan digestif, existent à l’étranger et seront bientôt disponibles en France.
La surveillance du malade se fait par la mesure du pH urinaire (bandelette urinaire) et par la densité urinaire, cette dernière devant être inférieure à 1010 sur tous les échantillons d’urine.
Le maintien d'un pH urinaire alcalin au long cours expose au risque de précipitation de phosphate de calcium rendant le calcul mixte. Ce risque doit être plus particulièrement redouté lorsqu'existe une hypercalciurie associée. Pour les malades sous Vichy, une surveillance annuelle de la fluorémie est nécessaire surtout en cas d’insuffisance rénale.
5. Les composés sulfhydrylés
Les composés sulfhydrylés ont la propriété de rompre le pont disulfure réunissant les 2 molécules de cystéine qui composent la cystine pour former un complexe cystéine-sulfhydryle (disulfure mixte), cinquante fois plus soluble que la cystine elle même.
Quelle est la capacité de complexation de la cystéine offerte par les radicaux sulfhydrylés?
Dans tous les cas il faut 2 molécules de la molécule complexante pour chélater une molécule de cystine. Par ailleurs le rendement de la réaction de complexation n’est pas de 100%.
- La D-pénicillamine (Trolovol comprimé à 300 mg). Six cents mg de D-pénicillamine complexe 250 mg (1 mmol) de cystine (rapport complexant/cystine 2,4).
- La tiopronine (ou alpha-mercaptopropionylglycine, Acadione comprimé à 250 mg). Cinq cents mg complexe 200 mg (0,83 mmol) de cystine (rapport complexant/cystine 2,5)
- Le captopril (Lopril comprimé à 25 mg). Cent cinquante mg complexe 50 mg (0,2 mmol) de cystine (rapport complexant/cystine 3)
La D-pénicillamine (Trolovol)
Depuis 1963, il a été démontré que l'administration de D-Pénicillamine réduisait la cystinurie. L'efficacité de ce traitement est limitée par l'apparition d'effets secondaires non négligeables : syndrome d'hypersensibilité aiguë, glomérulite extra-membraneuse, syndrome de Goodpasture, leucopénie, thrombocytose, éosinophilie, agnosie, dermatomyosite, hyposidérémie, déplétion en Pyridoxine. En fait la tolérance dépend du protocole utilisé. Il faut débuter par de faibles doses et augmenter progressivement la posologie pour aboutir à une dose maintenant la cystinurie inférieure au seuil de saturation. Si aucune manifestation d'hypersensibilité apparait, la posologie est augmentée sur une période de deux mois, la posologie optimale se situant entre 1,5 et 1,8 g/j ce qui complexe 3 mmol de cystine.
La mercaptopropionylglycine (MPG ou Acadione)
La mercaptopropionylglycine est un composé sulfhydrylé qui possède un potentiel d'oxydo-réduction sensiblement égal à la D-pénicillamine. La posologie est d’environ 1 gr/jour. L'avantage majeur du MPG est une moindre toxicité avec un faible nombre de patients arrêtant le traitement. Le MPG peut entraîner des troubles gastro-intestinaux mineurs, un rash cutané, une fièvre et une glomérulite extramembraneuse. Des séries retrouvent près de 70% des patients arrêtant le traitement par D-pénicillamine contre seulement 30% avec le MPG .
Dans tous les cas, la moitié de la posologie du radical sulfhydrylé doit être prise de préférence au coucher car la concentration urinaire en cystine est plus importante la nuit. Enfin il a été récemment montré que la D-pénicillamine et la tiopronine exerçaient une activité anti cystinurique en augmentant le métabolisme intracellulaire de la cystine.
Le Captopril (Lopril)
L'effet bénéfique du captopril est propre à sa structure chimique et n'est donc pas extrapolable aux autres inhibiteurs de l'enzyme de conversion. Des études portant sur un nombre important de patients sont nécessaires pour réellement évaluer l'efficacité et la tolérance du Captopril au cours de la cystinurie. Toutefois compte tenu des données chimiques, on ne peut pas s’attendre à une baisse significative de l’excrétion urinaire de cystine à la posologie habituelle de cette molécule (maximum 150 mg/jour).
Un effet secondaire du Captopril est l’hypocitraturie en rapport avec l’acidose intracellulaire des cellules du tube contourné proximal en rapport avec la diminution de l’activité de l’échangeur Na+/H+, activité favorisée par l’angiotensine II. Cette hypocitraturie abaisse le pH des urines.
6. Conduite générale du traitement médical
Aucune des différentes thérapeutiques énumérées ne fournit à elle seule une efficacité complète dans le traitement préventif des récidives. La cure de diurèse est essentielle, l'apport sodé doit être restreint, les aliments riches en méthionine exclus. Une alcalinisation par citrate de potassium doit permettre le maintien d'un pH autour de 7,4-7,6.
En cas d’échec, ce traitement sera complété par la prescription d’un composé sulfhydrylé, de préférence la tiopronine, en commencant par 2 cp/j et en augmentant progressivement jusqu’à obtenir une excrétion urinaire de cystine inférieure à 1 mmol/l. En cas d'hypertension, le Captopril doit être choisi en première intention.
Le suivi échographique et radiologique de l'évolution de la lithiase est indispensable. Toute modification de la tonalité du calcul dans le sens d'une majoration de la radio-opacité accompagnée d'une augmentation de taille ou d'un arrêt de la réduction de taille doit faire suspecter la présence de dépôts d'apatite (phosphate de calcium) génant les possibilités de dissolution du calcul par l'alcalinisation.
Au cours de la grossesse, les effets tératogènes de la D-pénicillamine et de la tiopronine contre-indiquent leur utilisation. Le traitement s’appuie sur l’hyperdiurèse et l’alcalinisation. En cas de migration urétérale d’un calcul, une sonde JJ doit être mise en place jusqu’au terme.
7. Traitement Urologique
Différentes techniques peuvent actuellement être utilisées en dehors de la chirurgie afin de préserver au mieux le capital néphronique de patients souvent exposés à des lithiases récidivantes.
La lithotritie extracorporelle est souvent décevante car les calculs de cystine sont trés résistants aux ondes de choc. Les calculs de cystine sont les plus résistants aux ondes de choc de tous les calculs. Toutefois la résistance des calculs n’est pas univoque, certains calculs étant pour des raisons mal connues facilement cassés par les ondes de choc. La lithotritie extracorporelle doit être toutefois tentée surtout sur les calculs de petite taille (moins de 1,5 cm de diamètre).
L’urétéroscopie est le traitement de choix pour les calculs de l’uretère pelvien (panier ou extraction simple).
La chirurgie percutanée est la plus utilisée surtout en cas de :
- calculs complexes ou coralliformes
- échec du traitement médical, de l’urétéroscopie ou de la lithotritie extracorporelle.
La dissolution in situ utilise soit des solutions alcalines pour dissoudre la cystine soit des solutions chélatantes pour créer un radical plus soluble. Les solutions alcalines sont le NaHCO3 (pH 8) ou le THAM (pH 8,2). Les solutions chélatantes sont à base de N-acétylcystéine à 2% (pH 10,2), de tiopronine à 2% (pH 10,5) ou de D-pénicillamine à 0,5% (pH 8). Il n’y a pas d’étude controlée permettant d’évaluer la dissolution in situ. Les précautions à prendre sont multiples :
- la pression dans le voie excrétrice doit être inférieure à 25 cm d’eau
- il faut contrôler l’hémostase et l’infection avant et pendant la dissolution
- une surveillance du bilan sanguin est nécessaire (risque d’alcalose)
Les problèmes sont la durée d’hospitalisation et l’existence de calculs mixtes contenant de l’oxalate ou du phosphate de calcium voire de la struvite qui ne vont pas se dissoudre et même peuvent augmenter de volume.
La chirurgie ouverte est souvent le dernier recours.